Interview exclusive du Docteur Farida Benhadou

La presse grand public a annoncé, début janvier, que des chercheurs de l’ULB avaient conjointement avec des équipes dermatologiques de l’Hôpital Universitaire Erasme (Anderlecht), dont le Docteur Farida Benhadou (1), fait une découverte capitale en matière de psoriasis. Elle concerne le VEGFA. Des initiales dont nous vous livrons la signification dans l’article qui suit. Il s’agit d’une découverte scientifique cruciale, porteuse d’espoir et… soyons chauvins, 100% belge ! Elle devrait permettre dans quelques années – après d’autres études complémentaires sur l’humain, en matière d’efficacité, de tolérance et de sécurité – de mettre un nouveau traitement médicamenteux au point, sur base d’une molécule déjà utilisée dans le traitement de certains cancers. S’agira-t-il d’un nouveau biologique ? Dans quel segment de traitements se positionnera-t-il ? Il est, certes, trop tôt, pour avancer une date de commercialisation d’un nouveau médicament anti-psoriasique sur le marché belge. Nous vous proposons, ci-dessous, les points cruciaux de cette découverte porteuse d’espoir pour les patients psoriasiques qui ne supportent pas bien leur traitement actuel ou qui y sont résistants.

Psoriasis-Contact : La presse a parlé d’une découverte cruciale concernant le VEGFA. Que renferment ces lettres et pourquoi cette découverte est-elle tellement importante ?

Docteur Farida Benhamou : « Nous savons depuis longtemps que le psoriasis est une maladie inflammatoire, chronique, très invalidante mais en analysant plus en détails la peau d’un patient qui souffre de psoriasis, nous avons retrouvé de nombreuses protéines qui régulent l’inflammation. Et elles sont chez un patient psoriasique, présentes en nombre plus élevé. Dont le VEGFA. (NdlR : Inhibiting Vascular Endothelial Growth Factor A). Le VEGFA n’est pas inconnu des chercheurs ni des médecins. Le VEGFA, à la base, est un facteur qui régule la croissance des vaisseaux sanguins, mais qui joue aussi un rôle dans le processus inflammatoire. Cela relève du domaine du connu. Par contre, ce que nous ne savons pas, c’est comment il agit, quelles sont les cellules ciblées par ce VEGFA dans le psoriasis ? Est-ce qu’il agit sur les cellules de la peau, est-ce qu’il agit sur les cellules inflammatoires, est-ce qu’il agit sur les vaisseaux sanguins, parce que les plaques sont très rouges, ce qui expliquerait qu’il y entraînerait un renouvellement des vaisseaux sanguins, etc. ?  Cela appartient au domaine de l’inconnu. Nous, ce que nous avons découvert, c’est qu’en bloquant un récepteur, qui est exprimé à la surface de la peau et qui est un récepteur qui peut se lier à ce VEGFA, le VEGFA ne peut plus se lier. Et nous arrivons, en laboratoire, sur un modèle murin, c’est-à-dire sur des rongeurs, à normaliser le psoriasis sur un modèle de souris qui souffre de psoriasis. »

Psoriasis-Contact : Ce fut une réelle surprise ?

Docteur Farida Benhadou : « Nous avons travaillé sur de petites souris de laboratoire. Et, je dois dire que le résultat était assez inattendu et spectaculaire, surtout parce que très rapide. En effet, la souris qui développait du psoriasis tout rouge, tout croûteux, ne présentait plus du tout de plaques après seulement deux semaines de traitement !  Il s’agit d’une découverte qui est très pertinente et à la fois très originale. Pourquoi ? Parce que les traitements actuels que l’on utilise sont des médicaments qui bloquent les cellules inflammatoires. Ici, on bloque un récepteur qui est exprimé au niveau de la peau. Donc, on agira plutôt au niveau de l’épiderme. Et, cela représente LA grosse nouveauté. De plus, cela sous-entend nettement moins de risques et donc, d’effets secondaires. »

Psoriasis-Contact : Quels bénéfices éventuels pour le patient dans le futur ?

Docteur Farida Benhadou : « Nettement moins d’interactions, d’effets secondaires, moins de toxicité éventuellement. Et, cela n’exclurait pas que le corps médical puisse éventuellement, à long terme, administrer ce traitement, par exemple, à des enfants ou aux femmes enceintes, puisqu’il y aurait peut-être moins d’effets tératogènes, c’est-à-dire de dangerosité pour le foetus, que les biologiques ou autres. Il convient de modérer notre enthousiasme, même si c’est difficile, car avant de parler d’un traitement, 3-4 années de recherches, notamment sur l’humain, seront nécessaires ! »

Psoriasis-Contact : Cet excès d’enthousiasme, surtout de la part des patients psoriasiques, vient peut-être du fait que cette molécule sur laquelle vous avez travaillé existe déjà et qu’elle est déjà administrée chez l’homme pour d’autres indications ?

Docteur Farida Benhadou : « Nous restons enthousiastes et, je pense, que nous avons raison de l’être, mais c’est vrai qu’il faut peut-être un peu tempérer les choses. Un nouveau médicament anti-psoriasique issu de cette découverte ne va pas être disponible demain en Belgique. Il s’agit, certes, d’une molécule connue et présente dans un traitement existant prescrit à certains patients souffrant de certains types de cancer. Remettons bien les choses à leur place. Nous n’avons pas inventé ni découvert cette molécule. Mais bel et bien mis en lumière son efficacité en matière de psoriasis. Ce traitement est habituellement ajouté à une chimiothérapie classique pour certains types de cancers (côlon, rein, etc.). Et les cancérologues ont observé que, parmi leurs patients, ceux qui souffraient également de psoriasis en plaques modéré à sévère avaient une meilleure réponse à la chimiothérapie, mais aussi un blanchiment de leur psoriasis. »

Psoriasis-Contact : Ce mode de découverte n’est pas unique dans l’histoire de la médecine.

Docteur Farida Benhadou : « Nous ne dirons pas qu’il s’agit d’une découverte fortuite, mais j’avoue que lorsque j’ai commencé à injecter la molécule à la souris, je n’en croyais pas mes yeux. Je me suis rapidement dit : ‘est-ce que c’est bien vrai ?’ Évidemment, par la suite, cette expérimentation a été répétée à maintes reprises, car on ne peut jamais se baser sur une seule souris. Et ladite souris était toute rouge, toute squameuse. C’est simple, sa peau était comme celle d’un psoriasis humain. Et, déjà après une semaine, la peau de la souris avait blanchi. Les rougeurs avaient disparu. La peau du rongeur a commencé à redevenir normale après deux semaines. »

Psoriasis Contact : Vous avez mené ces études sur un nombre assez important de souris ?

Docteur Farida Benhadou : « Oui. Cela va de soi. Tout simplement car il n’y a pas de modèle parfait, (NdlR : sous-entendu de souris qui ressemble le plus possible à l’humain). Le modèle parfait reste l’humain, mais nous ne pouvons pas tester directement une molécule sur l’être humain. Nous sommes donc obligés, lors de telles recherches, de passer soit par un modèle de cellule, mais pour le psoriasis c’est compliqué, soit par un modèle in vivo. Nous considérons que la souris reste le meilleur prototype sur lequel effectuer des tests cliniques. Maintenant, dans le cas du psoriasis, ce qui est compliqué, c’est qu’il existe ‘20.000 modèles’ de souris. Alors, tous ne conviennent pas. »

Psoriasis Contact : Et, aussi ‘20.000’ formes de psoriasis, puisqu’on affirme souvent qu’il y a autant de formes de psoriasis que de psoriasiques ?

Docteur Farida Benhadou : « Exactement. Nous avons donc travaillé sur un premier modèle de souris qui représente assez bien la peau humaine. C’est tellement le cas que lorsqu’on fait une biopsie de ces souris et que l’on regarde une peau humaine, elles sont quasiment similaires. Les déformations de la peau humaine se retrouvent dans ce modèle-là. Je voudrais aussi préciser qu’en collaboration avec un autre laboratoire, à Vienne, nous avons aussi trouvé un autre modèle de souris qui récapitule assez bien le psoriasis humain. Et donc, nous l’avons testé spécifiquement sur ces deux modèles-là. Nous aurions évidemment pu le tester sur davantage de modèles, mais déjà rien que sur ces deux modèles qui sont très utilisés, nous a pu observer des résultats probants. C’est déjà pour nous très, très encourageant de pouvoir affirmer que cette molécule est pertinente dans le psoriasis, en tout cas chez la souris. »

Psoriasis-Contact : Alors, comment la positionner chez l’humain ?

Docteur Farida Benhadou : « Nous ne disposons pour l’instant pas d’essais chez l’humain. Nous n’avons donc fait que des observations sur la souris. Nous avons analysé des peaux de patients psoriasiques et ce que l’on sait, c’est que cette protéine est bel et bien présente dans la peau humaine. Maintenant, reste à savoir si on la bloque, si elle va pouvoir améliorer le psoriasis comme cela a été observé chez la souris ? Quels sont les risques à long terme ? Nous n’avons pour l’instant pas la réponse. Il faudrait tout simplement faire des études complémentaires. Comme les résultats étaient concluants chez la souris, on pourra passer chez l’humain, et voir si nous obtenons également une bonne tolérance. En effet, il ne faut pas oublier que cette protéine (VEGFA) que l’on bloque est importante pour le fonctionnement du système biologique de façon générale, indépendamment du psoriasis. Il n’est pas impossible, dès lors, que l’on observe des effets secondaires chez l’humain. Mais ce serait une bonne alternative, par exemple, aux topiques (crèmes émollientes) à base de corticoïdes ou à la ciclosporine, au méthotrexate ou encore à la puvathérapie. Mais nous ne mettrions pas ce traitement dans la même catégorie que le fumarate de diméthyle ou encore les biologiques. Toutefois, j’insiste qu’il faut d’abord procéder à des tests chez l’humain ! Reste à savoir si les résultats seront tout aussi spectaculaires que chez la souris… Il y a énormément d’espoir, mais je ne détiens pour l’instant pas de réponses précises. Cela dépend, encore une fois, des formes de psoriasis concernées. »

Psoriasis-Contact : Vous avez docteur, en collaboration avec l’ULB, mené ces tests sur des modèles murins (souris). Quand allez-vous démarrer les tests chez l’humain ?

Docteur Farida Benhadou : « Nous n’allons pas nous arrêter en si bon chemin. Le projet va continuer et il va s’étendre à l’humain. C’est en route. C’est prévu. La patience sera toutefois de mise. Il faut compter trois à quatre ans, car il faut tester la molécule sur les différents types de psoriasis, faire les tests de toxicité, de sécurité, etc. Et nous sommes, pour l’instant, en attente de fonds pour continuer. Heureusement, le fait de travailler en milieu universitaire hospitalier peut aider. »

Psoriasis-Contact : Vous restez confiante concernant les résultats chez l’humain ?

Docteur Farida Benhadou : « Le fait que cette molécule ait déjà été testée avec un certain succès par des patients cancéreux donne encore un peu plus d’espoir. Nous devrions ensuite procéder à toutes les phases de tests et aux études habituellement nécessaires avant de tendre potentiellement vers le développement d’un médicament qui sera à ce moment-là commercialisé en Belgique. Si tout va bien d’ici cinq ans. Mais j’insiste, cela reste hypothétique. Il faut bien nuancer et agir de la sorte pour éviter que cela porte à confusion. Mais c’est une découverte belge, la plus aboutie, alors qu’en Allemagne et en Autriche des chercheurs étaient déjà arrivés aussi à certaines conclusions. Ce qui fonctionne sur la souris, ne donnera peut-être pas de résultats aussi probants sur l’humain ! Il ne faut jamais l’oublier ! Néanmoins, ne boudons pas notre plaisir ni la fierté de cette découverte qui, nous l’espérons, débouchera sur de belles perspectives médicamenteuses pour les patients psoriasiques insuffisamment traités, résistants ou qui ne supportent pas les traitements actuellement disponibles en Belgique. »

( 1 ) Dermatologue et responsable des recherches pour Erasme. Auteure d’un article sur les résultats de cette étude publiés dans la presse médicale (professionnelle) internationale.

Interview réalisée par Barbara Simon.