Ces dernières années, l’arsenal thérapeutique mis à disposition du dermatologue en Belgique pour traiter le psoriasis modéré à sévère en plaques n’a cessé d’augmenter considérablement. Qu’est-ce qui justifie dès lors la prescription d’une biothérapie plutôt que d’une autre ? Pourquoi un IL-17 plutôt qu’un IL-23 ? Pourquoi un biosimilaire plutôt que du méthotrexate, par exemple ? Psoriasis-Contact a voulu y voir plus clair et a posé la question au Docteur Françoise Guiot, dermatologue à Grez-Doiceau.    

« L’arsenal thérapeutique dont nous disposons actuellement en Belgique est assez important. Et c’est tant mieux. En quinze ans, les rangs des traitements médicamenteux disponibles dans le cas du psoriasis modéré à sévère en plaques n’ont cessé de grossir, avec des molécules diverses mais toutes de plus en plus spécifiques, efficaces, sûres et de mieux en mieux tolérées. Ce qui permet aux dermatologues de pouvoir cibler au mieux, en fonction du parcours de la personne psoriasique, de ses besoins, de ses attentes, de sa vie socio-professionnelle, etc. le traitement qui sera le plus adapté. Au cas par cas. On tient ainsi davantage compte de la qualité de vie et c’est primordial. Les conditions de remboursement qui sont, par exemple, strictes pour les biothérapies doivent bien entendu être remplies pour qu’un patient ait accès ou pas à ce type de traitement. La localisation et la sévérité du psoriasis entrent également en ligne de compte ! »  

Qu’est-ce qui justifie le choix au sein des biothérapies ?

« Au sein des biothérapies, nous avons été, en tant que dermatologues, très gâtés ces dernières années. Et c’est tout bénéfice pour les personnes qui souffrent de psoriasis. Alors, qu’est-ce qui fait que l’on prescrira plus facilement un IL-17 qu’un IL-23 ? L’IL-17 (interleukine 17) sera certainement prescrit lorsque l’on souhaite obtenir une action extrêmement rapide, même si les IL-23 (interleukine-23) ont une action rapide également, mais un tout petit peu différée dans le temps. Et,  on sait que l’action sur les articulations (en cas d’arthrite psoriasique par exemple) des IL-17 est tout de même nettement supérieure à celle des IL-23. Donc, cela fait partie certainement des questions les plus importantes qu’il faut poser : y a-t-il une atteinte articulaire ou pas ? Et de quel type d’atteinte articulaire s’agit-il ? Vous avez, pour certaines localisations, des résultats davantage probants avec une molécule plutôt qu’avec une autre. Je pense, par exemple, au Secukinumab (Cosentyx™ – IL-17A) : il y a vraiment des études qui ont été faites pour évaluer les résultats, l’efficacité de cette molécule en cas de localisations bien particulières de plaques. Il y a également eu, par exemple, pour d’autres molécules (biothérapies), des études qui n’ont porté que sur les  atteintes psoriasiques des ongles, rien que sur le psoriasis palmoplantaire ou encore celui du cuir chevelu. Les résultats de telles études permettent d’orienter notre choix afin d’obtenir la meilleure efficacité. Et donc, il est exact que le dermatologue va peut-être se focaliser sur des molécules lors de la prescription pour lesquelles il dispose de résultats d’études. Cela peut aider, surtout pour traiter des localisations qui sont parfois peut-être un peu plus compliquées ou qui réagissent un peu moins rapidement. »

Vous arrive-t-il parfois d’avoir des patients qui vous disent vouloir éviter absolument les biothérapies ? Que leur proposez-vous comme alternative ?

« Alors, jamais ! Mais je sais que certains confrères reçoivent régulièrement des demandes  – pour des raisons-philosophiques, socio-économiques, voire sociologiques, etc. – de prescription pour des biosimilaires. Alors qu’ils ne sont pas moins chers en Belgique. Nous ne sommes, à cet égard, pas le pays le mieux loti pour les biosimilaires. Si je devais avoir ce type de demande, je gèrerais bien entendu cela au mieux, au cas par cas, dans l’intérêt du confort et de la santé du patient. De même, je n’ai jusqu’à présent jamais été confrontée à une demande pour du fumarate de diméthyle (Skilarence™), tout simplement parce que ce traitement n’est disponible en Belgique que seulement depuis 4 ans. Il est très connu, populaire et fortement prescrit en Allemagne depuis plus de 30 ans, mais ce n’est pas le cas chez nous. Peut-être davantage dans la partie néerlandophone… De plus, n’oublions pas que le fumarate de diméthyle s’accompagne d’effets secondaires qui ne sont tout de même pas anodins, surtout au niveau hématologique. À voir au cas par cas dans la pratique. Concernant les biosimilaires, je dirais que je ne suis pas une grande adepte de ce type de traitements, mais je peux comprendre que certains patients puissent y adhérer. J’insisterais en disant, pour motiver mon choix, qu’en médecine dans l’intérêt des patients, les médecins veulent, en général, encourager la recherche. Et si vous prescrivez des biosimilaires, quelque part, vous pénalisez la recherche dans le futur. Je n’ai donc jamais prescrit de biosimilaires jusqu’à présent et je n’ai pas l’intention de la faire, sauf bien entendu en cas de nécessité absolue pour un patient. »

Quid des possibilités pour ce qu’on appelle communément le parent pauvre, c’est-à-dire le psoriasis léger ? Il y a là aussi, parfois avec des scores très limites, des personnes qui vivent un enfer et qui n’ont pas accès aux biothérapies, à certains remboursements, etc.

« Il reste, dans ce type de situation, la PUVAthérapie, qui donne des résultats probants. On peut aussi encore se débrouiller, en tant que dermatologue, pour commander de la Méladinine™ en France. Cela donne toujours de bons résultats, tout en sachant que cela reste compliqué de prescrire un produit français. Sinon, il reste également les UVB. Cela représente une bonne alternative, mais il y a des zones de localisation du psoriasis qui sont un peu plus compliquées à traiter, comme par exemple le psoriasis génital, le psoriasis des ongles. »

Quid quand rien ne fonctionne ou que les conditions de remboursement/les autorisations adéquates ne sont pas remplies ?

« Dans ce contexte, n’oublions pas ce que je qualifierais de « trucs et astuces à la carte ».  J’avais, par exemple, une patiente qui était atteinte d’un psoriasis au niveau des ongles et des mains. Elle n’avait plus un seul ongle ! Elle était écrivain et me disait ‘Vous vous rendez compte, je dois aller dédicacer mes livres à la Foire du Livre, je n’ose pas.’ Sa qualité de vie étant fortement atteinte. Dans ce contexte, il faut aider au mieux les personnes en souffrance. Ainsi, pour le psoriasis des ongles, j’ai une patiente à laquelle je fais des injections de corticoïdes dans la racine des ongles, sous crème anesthésiante au préalable, bien entendu. Elle n’avait pas été, à la base, demandeuse de faire ce traitement-là, mais cela a véritablement sauvé son existence. J’ai un patient –  je ne le vois plus qu’une fois par an – dont les ongles restent nickel suite à ces injections de corticoïdes. Je pense donc qu’il faut chaque fois développer un peu des astuces, au cas par cas. Un patient n’est pas l’autre, une localisation n’est pas l’autre, un ressenti n’est pas l’autre. Il faut également conseiller aux personnes qui souffrent de psoriasis de consulter des dermatologues qui ne sont pas que des « pommadologues », c’est-à-dire qui n’ont pas peur de prescrire de la ciclosporine, du méthotrexate, des biothérapies… qui sortent de leur zone de confort et qui recommandent autre chose que des émollients et des pommades ! Les temps ont changé, l’arsenal thérapeutique aussi. Et, c’est tant mieux ! »

Pourquoi prônez-vous une réorientation de personnes atteintes de psoriasis vers des dermatologues spécialisés, référents ?

«Face à cet éventail considérable de traitements que nous avons désormais à notre disposition pour gérer et soulager le psoriasis, vu toutes les études qui sont parues, qui sont en cours et les molécules qui doivent encore arriver sur le marché, je trouve que cela devient vraiment fondamental d’orienter les personnes souffrant de psoriasis vers des dermatologues qui se sont spécialisés dans le traitement de cette pathologie. Et, on observe ce type de « spécialisation » dans d’autres spécialités médicales. Ainsi, vous avez par exemple des cardiologues qui s’occupent des troubles du rythme, d’autres qui ne font que poser des stents. C’est la même chose avec les gynécologues. Vous en avez qui sont spécialisés en endométriose, en ménopause ou en grossesse difficile, etc. Une telle approche, auprès des médecins les plus au faîte de leur spécialité, permettrait de cibler au mieux les traitements adéquats et d’aider au maximum les personnes, dans ce contexte, qui sont atteintes de psoriasis. Et, heureusement qu’il y a les associations de patients comme la vôtre qui se font le relais des informations, des nouveautés thérapeutiques. Ainsi, les personnes souffrant de psoriasis voient qu’elles ne sont pas seules et qu’il existe, désormais, des thérapies au cas par cas pour les soulager et améliorer leur qualité de vie.»